LA STATUE RELIQUAIRE DE SAINT CHRISTOPHE

 

 

 

S’il existe une histoire rocambolesque à Lasbordes, c’est bien celle de la statue reliquaire de Saint Christophe.

La paroisse, depuis le XVème siècle, possédait un reliquaire représentant Saint Christophe en argent et vermeil. Aujourd’hui, la statue que l’on peut voir à l’église de Lasbordes est une copie, l’original se trouve au Métropolitan Muséum of Art de New York. Cette substitution est découverte, en 1954, lors de l’exposition de l’Art Audois. L’affaire fit grand bruit à l’époque et l’on ne connaît pas, encore aujourd’hui, le fin mot de l’histoire.

Figure 12 : Statue reliquaire Saint Christophe, New York, vers 1485, attribué à Pons de Rosso.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La paroisse et l’église de Lasbordes sont dédiées à Saint Christophe depuis le XIIème siècle

Selon la légende, Christophe, né en Lycie, s’appelait, avant sa conversion, Offérus. C’était un géant de cinq mètres de haut qui voyageait en disant qu’il voulait servir le plus grand roi du monde. Conseillé par un ermite, Offérus aidait les voyageurs à traverser une rivière à l’aide d’un arbre en guise de canne. Un jour, Offérus fit traverser un enfant sur ses épaules. Sous le poids de l’enfant, il s’enfonça dans les eaux et levant la tête, lui dit :

-Enfant, pourquoi te fais-tu si lourd, il me semble que je porte le monde ?

L’enfant lui répondit :

-Non seulement, tu portes le monde mais celui qui a fait le monde, je suis le Christ !

Et, l’Enfant Jésus baptisa Offérus du nom de Christophe, car Christoforos, en grec, veut dire «celui qui porte le Christ ».

Christophe serait mort martyr le 25 juillet 254 après J-C sous Décius.

Ce saint devint le protecteur des portefaix et des voyageurs. Au Moyen Age, la population a une grande dévotion pour ce saint, la vue seule d’une figure de Saint Christophe protégeait des maladies contagieuses. Mais, c’est au XVème siècle, que la vénération pour ce saint est importante.

A cette époque, l’église de Lasbordes commande un reliquaire pour conserver les ossements du saint. Exécuté vers 1485, il serait l’œuvre de Pons de Rosso, orfèvre à Toulouse. Ce reliquaire est un magnifique exemplaire d’orfèvrerie du XVème siècle.

 

Il s’agit d’une statue reliquaire en argent et en vermeil représentant Saint Christophe. L’ensemble à une hauteur de cinquante neuf centimètres, son socle d’architecture gothique, est hexagonal et dans lequel s’inscrit la boîte à reliques.

 

Le saint est debout, le pied gauche enfoncé dans la rivière poissonneuse, le pied droit est hors des flots (la légende précise que la jambe droite s’est relevée tout entière des eaux). Christophe s’appuie sur un bâton avec les deux mains et regarde l’Enfant Jésus se trouvant à cheval sur son épaule gauche. Le Christ tient le monde d’une main et bénit de l’autre, sa tête est auréolée.

La barbe de Christophe descend sur sa poitrine et sa moustache se relève sur ses joues laissant apparaître un visage souriant. Il est vêtu d’un manteau alors que le Christ porte une longue tunique plissée. Les chairs sont en argent, les costumes et accessoires de vermeil. Le métal est fondu et ciselé, l’ensemble, exécuté en cinq parties, pèse sept kilogrammes quatre vingt (poids de la copie).

Les reliques, contenues dans la statuette, firent l’objet d’une vénération particulière le jour de la Saint Christophe
(25 juillet)

Etant très attaché au culte du saint patron, le clergé et les fidèles ont su préserver le reliquaire pendant les heures sombres de notre histoire. Ainsi, la statue n’est pas dérobée lors du siège du village, en 1570, par les groupes de cavaliers protestants, commandés par Coligny.

Plus tard, la Révolution Française exige l’argenterie des églises, cathédrales, prieurés, ... La liste des pièces d’orfèvrerie à remettre au Directoire du district de Castelnaudary est dressée par la municipalité en 1793. On y trouve une statue reliquaire de la Vierge en argent pesant neuf marcs et une belle croix en argent dont le poids est de onze marcs. L’autorité municipale écarte volontairement de la liste le reliquaire du saint patron. La dévotion de la population pour Saint Christophe permet à la statue de ne pas être fondue.

 

Le 25 septembre 1901, le reliquaire Saint Christophe, reconnu comme un chef-d’œuvre d’orfèvrerie, est classé parmi les Monuments Historiques. La statue reliquaire est visible à l’exposition d’Art Audois en 1935 sous le numéro 142.

Plus tard, en 1954, une exposition d’œuvres d’art est organisée à Carcassonne où le reliquaire Saint Christophe est présenté. L’occasion est donnée aux experts de démonter et de nettoyer la statue. Cet examen méticuleux révèle, hélas, une triste constatation : le reliquaire Saint Christophe est une copie.

 

Les poinçons de maître et de ville sont faux. Au lieu d’être frappé au poinçon à l’aide d’un marteau, les marques ont été exécutées dans le métal avec un ciseau et un burin car le faussaire ne possédait pas les poinçons d’origine. Les lettres tol inscrites dans le poinçon de ville, par exemple, sont très mal imitées, à croire que le faussaire ne connaissait pas la signification des marques qu’il copiait.

Le nettoyage a également permis de découvrir sous la robe de l’Enfant Jésus, caché sous une gomme rougeâtre, des poinçons anglais. Il s’agit d’un « lion passant » correspondant au poinçon de la ville de Londres. Les poinçons de maître et de date sont illisibles ou manquants.

Les experts concluent que le reliquaire est une copie d’argent et de vermeil du XIX ème siècle exécutée en Angleterre.

La triste nouvelle est annoncée à la population de Lasbordes. On prévient Pierre Estève, curé de la paroisse, que la statue Saint Christophe est un faux compromettant ainsi l’authenticité des reliques. De ce fait, le prêtre n’exposera pas la statue, lors de la fête locale.

Après le retour du reliquaire à Lasbordes en 1954, certains habitants, voyant la statue reluisante et ayant l’aspect du neuf (puisqu’elle avait été nettoyée lors de l’exposition), prétendirent que celle-ci n’était pas la statue qui avait été prêtée à l’occasion de l’exposition. Cette interprétation est toujours reconnue par certains anciens comme étant la version exacte des faits.

 

-Où se trouve le vrai Saint Christophe ? S’interrogent les villageois indignés.

A cette question, le ministère de la Culture affirme qu’une statue reliquaire représentant Saint Christophe se trouve au Muséum Metropolitan of Art de New York enregistré sous le numéro 17-190-361. Déjà en 1935, les spécialistes de l’art sacré connaissaient l’existence de cette statue semblable à celle de Lasbordes mais ils pensaient qu’il s’agissait de deux exemplaires authentiques d’une même fonte. La «découverte » de la copie lasbordaise confirme que le reliquaire de New York est l’original du XVème siècle.

Des précisions sur l’origine de cette statue sont demandées au musée américain. Il s’agit d’une œuvre se trouvant depuis 1917 au musée et qui est un don de la famille Morgan. D’après les Américains, la statue proviendrait d’une église de Castelnaudary et donnée par le comte de Castelnaudary. Mais il n’y a jamais eu de comte de ce nom. Le musée new-yorkais considère le reliquaire saint Christophe comme une pièce en parfait état de conservation, révélant l’exceptionnel travail des orfèvres français du Moyen Age.

Il restait à connaître la raison pour laquelle la statue reliquaire Saint Christophe se trouvait à New York. L’œuvre est un don de la famille Morgan au Metropolitan Muséum. Pierpont Morgan, milliardaire américain et collectionneur d’œuvres d’art provenant d’Europe enrichira les musées américains et notamment celui de New York. Ce milliardaire est lié d’amitié avec la famille Pereire, riches banquiers ayant financé, en particulier, les chemins de fer de la région. Une demoiselle Pereire est l’épouse d’Eugène Mir, sénateur audois et propriétaire du domaine des Cheminières (communes de Saint Martin-Lalande et de Castelnaudary). Pierpont Morgan et le sénateur se connaissent bien. Eugène Mir, sachant l’admiration de son ami américain pour les œuvres d’art, l’informe de la présence d’une statue reliquaire Saint Christophe en argent du XVème siècle à Lasbordes. Pierpont Morgan, intéressé par l’objet d’art, sollicite le sénateur d’être le médiateur pour négocier la statue avec le curé de la paroisse. On ne connaît pas les arguments utilisés par Eugène Mir pour convaincre le curé de Lasbordes de lui donner la statue.

D’après le témoignage d’Appolonie Rolland, marguillière en 1954, elle aurait entendu dire qu’on avait proposé au curé de l’époque de lui faire une autre statue de Saint Christophe et de lui donner en plus vingt ou vingt cinq mille francs pour lui permettre de restaurer le clocher de l’église de Lasbordes. Un autre témoignage nous apprend également, qu’après la loi de séparation (1905), un antiquaire ou amateur avait offert d’acheter la statue pour la somme de vingt cinq mille francs à charge pour l’acquéreur de faire exécuter une copie. Mais l’offre ne fut pas acceptée. La vente d’objets religieux n’est pas rare au XIXème siècle. Par exemple, en 1847, le conseil de Fabrique de l’église de Lasbordes vend six chandeliers pour couvrir les dépenses. Mais il est difficile d’imaginer qu’un prêtre puisse vendre un objet sacré d’une telle valeur.

Pour ma part, je pense qu’Eugène Mir a proposé au curé de la paroisse de lui prêter le reliquaire pour une exposition en lui promettant d’aider financièrement la Fabrique. Il était important pour le sénateur de «sortir » le reliquaire de l’église de Lasbordes. Confiée à Eugène Mir, la statue fut envoyée à Londres chez un orfèvre pour y être copiée au frais du milliardaire.

 

Une fois le travail du faussaire terminé, l’original est acheminé aux Etats Unis pour enrichir les collections d’œuvres d’art de Pierpont Morgan. Quant à la copie, elle rejoint l’église de Lasbordes accompagnée sans doute d’une somme d’argent pour remercier le prêtre de sa gratitude. Le curé de la paroisse retrouvait sa statue reliquaire en argent ne songeant pas même une seconde qu’il pouvait s’agir d’une copie. La substitution du reliquaire venait d’avoir lieu sans que les Lasbordais ne s’aperçoivent de l’affaire.

 

En 1904, lors du projet de construction du clocher de l’église de Lasbordes, des bienfaiteurs anonymes donnent la somme de cinq mille francs à la Fabrique pour réaliser les travaux. Il est peu probable que même les Lasbordais les plus fortunés auraient apporté une somme aussi importante. C’est sûrement du coté des Cheminières que le curé de la paroisse est allé réclamer la somme d’argent promise par Eugène Mir pour venir en aide à la Fabrique.

 

Les faits exacts de l’affaire restent méconnus, il est difficile, actuellement, de connaître les acteurs de cette histoire. Seul le sénateur Mir et Pierpont Morgan sont impliqués. Quant au curé de l’époque, a t il volontairement vendu le reliquaire ou a t il était bafoué ?

 

Pour ce qui est de la date de cette substitution, on peut la situer à la fin du XIXème siècle ou au tout début du

XXème juste avant 1905, année des grands travaux effectués à l’église.

Cinquante ans plus tard, Lasbordes apprend avec stupeur que reliquaire Saint Christophe que possède l’église est une copie. Depuis 1954, les reliques contenues dans la statue ne sont plus vénérées lors de la fête du saint.

Le reliquaire resta alors invisible au public, néanmoins, l’œuvre est toujours classée Monuments Historiques. N’oublions pas que la copie d’argent et de vermeil pèse sept kilogrammes quatre vingt et que la valeur de la matière ajoutée à celle de sa fabrication représente une valeur marchande très importante. Actuellement, la statue est exposée, lors de visites, dans une niche spécialement aménagée.

 

 

 

Quoiqu’il en soit, la paroisse de Lasbordes a perdu à tout jamais son chef-d’œuvre d’orfèvrerie symbolisant cinq siècles de vie religieuse locale.

AUTRES PIECES D’ORFEVRERIE

 

 

Si Saint Christophe est le patron de la paroisse, le culte de la Vierge a été, jadis, très important dans notre localité. Cette dévotion est très ancienne, elle remonte au XIIème siècle lors de l’érection de la paroisse Saint Christophe. A cette époque, le territoire de l’église Sainte Marie de Bassens est démembrée au profit de la paroisse de Lasbordes qui récupère terres et culte de la Vierge.

D’ailleurs, l’œuvre régissant les biens de l’église de Lasbordes fut appelée «œuvre de Notre Dame et de Saint Christophe »

Au XVème ou au XVIème siècle, les marguilliers de la paroisse commandent un reliquaire pour enchâsser les précieuses reliques : un morceau de la robe de la Vierge. Ce reliquaire est une statue de Notre Dame en argent et vermeil, faisant le pendant de la statue Saint Christophe. Cette œuvre apparaît dans un inventaire des biens de l’église de Lasbordes en 1598. Hélas, la Révolution Française n’a pas oublié de réclamer l’argenterie des églises.

La statue reliquaire de la Vierge figure sur la liste des pièces d’orfèvrerie de l’église de Lasbordes datée de 1793.

Cette belle pièce, pesant neuf marcs, sept onces et trois gros, est envoyée au Directoire du district de Castelnaudary pour être fondue.

 

Le clergé, ayant préservé les reliques, commande, à la même époque, une statue en bois doré de la Vierge pour conserver le fragment de la robe. Cette statue représente la Vierge, tête nue, tenant l’Enfant Jésus. Le socle contient les reliques.

Hélas, ce reliquaire est en très mauvais état, une restauration serait nécessaire.

Dans l’état de l’argenterie établi en 1760, il apparaît une belle croix de bois recouverte de plaques d’argent. Cette croix est envoyée à la fonte en 1793.

 

Actuellement, le trésor de l’église de Lasbordes renferme deux calices. L’un est en argent, il est l’œuvre de Louis III Samson, orfèvre à Toulouse et exécuté entre 1798 et 1809. Le pied du calice est rond, il est décoré, gravé dans le métal, d’une croix, d’une grappe de raisin et d’une gerbe de blé. Des ornements ont été rapportés sur la coupe à mi-hauteur. Ce calice est un don de l’abbé Falcou, curé de Saint Sébastien de Narbonne, à l’église de Lasbordes, en 1930, en souvenir de son passage dans cette paroisse.

L’autre calice est en vermeil, c’est une commande de l’église de Lasbordes à l’orfèvre Cahier de Paris en 1821. L’ensemble est richement décoré. Le pied est rond, divisé en trois parties par des gerbes de blé, roseau et raisins. Chacune des parties représente les instruments de la Passion du Christ : la croix, la lance, l’échelle, le marteau, les dés, le roseau,… . Tout ceci en métal repoussé. La coupe est décorée d’ornements rapportés. Il s’agit de trois médaillons séparés chacun par des gerbes de blé. Ces médaillons représentent le Christ vêtu du manteau et portant le roseau, le Christ portant sa croix et le Christ en croix. C’est une magnifique pièce d’orfèvrerie.