LE RETABLE BAROQUE DU MAITRE AUTEL

 

Figure11 : Retable du Maître Autel, 1679, Jean-Jacques Mélair.

Lorsque le visiteur pénètre pour la première fois dans l’église Saint Christophe de Lasbordes, il s’interroge souvent par la présence de cette œuvre grandiose dans une simple église paroissiale.

 

S’agit-il d’un retable destiné à un autre bâtiment religieux de la région et placé sans raison dans l’église de Lasbordes ou la paroisse Saint Christophe avait-elle, jadis, un rôle religieux important dans le diocèse de Saint Papoul  ?

A ces deux questions, on peut apporter une réponse négative.

Pour mieux comprendre la raison de la commande de ce magnifique ensemble par les marguilliers, il faut rappeler l’état du sanctuaire à la fin du XVIIème siècle. Le chœur de l’église de Lasbordes est décoré de peintures médiévales couvrant la totalité des murs. Ces fresques sont anciennes, en partie dégradées et ne sont plus à la mode en cette fin de siècle. De plus, lors des visites pastorales dans les paroisses, les évêques obligent les marguilliers à orner les autels de tableaux ou de retables. Le baroque, style du retable du maître autel, est largement représenté à cette époque, il symbolise la grande réforme liturgique du XVIIème siècle. Il faut ajouter que les possibilités financières de l’œuvre furent assez importantes pour le payement d’un tel ornement bien que des problèmes de financement apparurent par la suite.

C’est sûrement pour ces raisons que les marguilliers commandent un imposant retable pour décorer le mur du chevet.

En effet, par ses dimensions impressionnantes et la richesse de son décor, il demeure le plus beau chef-d’œuvre baroque de la région.

 

On peut rappeler qu’un retable est un panneau décoratif de diverses matières placé derrière un autel.

Le retable du maître autel mesure dix mètres quatre vingt de long et onze mètres de haut. La partie inférieure est décorée de six grandes colonnes salomoniques aux chapiteaux composites où s’entremêlent des feuilles de vigne et grappes de raisins. De chaque coté, placés dans des niches, on peut voir les statues grandeur nature de Saint Pierre et de Saint Paul. Au-dessus de ces derniers, des enfants soutiennent le Christ et la Vierge en médaillons.

Dans la partie supérieure du retable, se trouve un bas relief représentant la Remise du Rosaire à Saint Dominique par la Vierge. Cette scène est encadrée par deux anges cariatides et deux colonnes salomoniques. Au centre de l’ensemble, se trouve un grand tableau représentant Saint Christophe.

Le retable est de style baroque, il est entièrement en bois sculpté, doré et polychrome. Les panneaux sont sculptés de rinceaux, guirlandes, roses, nœuds, …dorés à la feuille ou peints.

 

Le retable est commandé le 7 mai 1679 à Jean-Jacques Mélair, sculpteur carcassonnais, par les marguilliers de l’église de Lasbordes et les consuls de la localité au prix de mille six cent livres. Ce bail est passé par acte devant maître Gourg notaire à Fendeille. Un procès eu lieu cette année là entre les marguilliers et Pierre Béranger, maître sculpteur de la ville de Castelnaudary devant le sénéchal de cette ville. Un contrat portant sur le bail du retable fut annulé entre les marguilliers et Béranger. Les travaux du retable exécutés par Mélair furent interrompus jusqu’au jugement du procès en Parlement. Hélas nous ne connaissons pas les détails de ce procès par manque de document à ce sujet.

Le retable est exécuté dans l’atelier du sculpteur, rue des Carmes à Carcassonne. Jean-Jacques Mélair travaille dans son atelier avec l’aide d’apprentis, menuisiers et sculpteurs. Les bois utilisés sont le châtaignier, le hêtre ou le noyer pour les assemblages. On utilise aussi le sapin ainsi que le tilleul pour exécuter les colonnes, les figures, les frontons et les cadres.

 

Terminé dans l’année 1679, le retable est transporté à l’église de Lasbordes où il est posé sur le mur du chevet. L’ensemble repose sur une assise de pierre où deux plaques de marbre rouge de Caunes, servant d’autel, sont placées sous les statues des deux apôtres.

 

Ce retable, acheté mille six cent livres, est une des œuvres les plus chères qu’ai exécuté Jean-Jacques Mélair. Le prix, convenu dans l’acte, engage un autre procès devant le sénéchal de Castelnaudary entre les commanditaires et le sculpteur. Le dernier versement du bail a lieu en 1690, soit onze ans après la commande du retable. Mélair reçoit des marguilliers la somme de trente livres perçu au moyen de dix setiers de blé pour régler le préjudice que l’œuvre lui avait causé. Il semble que les marguilliers aient surestimé les revenus de la paroisse.

 

 

 

Figure 12 : Retable du Maître Autel (détail), statue de Saint Pierre, 1679, Jean-Jacques Mélair.

Le sculpteur Jean-Jacques Mélair est issu d’une famille originaire de Vic sur Seille (Moselle). Il est né à Carcassonne vers 1635 et décédé dans la même ville le 11 juin 1698. Mélair est confié en apprentissage à Pierre Chipault en 1647 et par la suite à son beau-frère, Louis Parant.

Il fit le tour du royaume de 1658 à 1661 puis se maria à Carcassonne. Il installe son atelier près des Carmes et réalise un nombre important de retables à Carcassonne et dans sa région (Peyriac-Minervois, Camurac…) avec l’aide de compagnons et de maîtres. Mélair travaille aussi en pays catalan où il exécute des retables à la cathédrale Saint Jean de Perpignan, Rivesaltes, Bouleternère et Vinça.

 

 

Le retable exécuté et posé par Jean-Jacques Mélair est en bois brut. Pour terminer l’œuvre, les marguilliers passent un contrat en janvier 1691 avec Pierre Raymond, doreur à Lasbordes, pour réaliser la dorure du retable au prix de deux mille livres. Une grande partie de l’ensemble est dorée à la feuille, les vêtements des personnages sont recouverts du précieux métal mais les visages et les mains sont de couleur chair. Les niches sont azurées, les guirlandes et les fleurs sont peintes alors que certaines parties sont marbrées. Pour exécuter l’entière décoration du retable, Pierre Raymond commencera son travail dès 1691 mais l’état des finances de l’œuvre oblige les marguilliers à étaler les travaux de dorure jusqu’en 1699. Vingt ans après sa commande, le retable est définitivement terminé.

 

 

Les marguilliers apportent une attention particulière au retable, ils le font nettoyer ou réparer lorsque cela est nécessaire. Mais ce retable est un ouvrage entièrement en bois et les parasites s’attaquent à l’ensemble provoquant des dégradations importantes.

 

En 1872, le conseil de fabrique s’inquiète de la vétusté du retable. Il précise, dans leurs délibérations, que « des incidents semblables à ceux auxquels ont été exposées dernièrement des personnes qui se plaçaient sous le dit retable par la chute inattendue de quelques pièces assez fortes qui s’en sont détachés »

En effet, une statue s’est détachée du lambris et tomba au sol. Les fabriciens décident à l’unanimité, la descente et la destruction du retable. Ils envisagent de détacher les parties qui ne peuvent pas être conservées et d’utiliser celles qui sont moins détériorées pour décorer la nef ou les chapelles.

Monsieur le curé et monsieur le maire font appel à un homme de l’art pour examiner ce retable, l’expert, dans son rapport, déclare «qu’il n’y avait pas lieu de détruire cet objet si précieux et que malgré sa vétusté, il pouvait être encore conservé pendant longtemps en y faisant toutefois quelques réparations ». Le conseil de Fabrique se réjouit de ne pas voir disparaître de l’église ce retable qui fait l’ornement du sanctuaire et l’admiration des connaisseurs mais les fonds nécessaires ne sont pas disponibles et le conseil de fabrique fait appel à la commune.

Il s’agit plus d’une réparation que d’une restauration. On consolide l’ensemble pour éviter la chute de pièces de bois. On substitue le grand tableau du XVII ème siècle représentant Saint Christophe, placé au centre du retable, par une toile de Bernadou exécutée en 1843 où figure également le saint patron. Le tableau d’origine est installé au-dessus de la porte d’entrée.

 

Le retable est reconnu par les spécialistes de l’art comme une œuvre importante et digne d’être conservée. Le ministère des Beaux-Arts le classe Monuments Historiques en 1910.

 

Plus d’un siècle après sa restauration, le retable nécessitait une intervention d’envergure. Le bois étaient attaqué par les parasites et l’ensemble commençait à s’affaisser. Les sculptures présentaient de nombreux manques et les parties basses en liaison avec l’autel avaient été de nombreuses fois modifiées et repeintes. Les travaux de restauration débutent en janvier 1988, le retable est entièrement démonté. Le bois est traité et les sculptures manquantes ou endommagées sont reconstituées. C’est au cours de cette restauration que l’on a découvert les peintures murales que le retable masquait. Pour conserver ce patrimoine pictural, la direction des Monuments Historiques et les élus locaux décident de remonter le retable au milieu du chœur, créant ainsi derrière un passage de la largeur de la travée. La restauration est terminée en 1990 par les travaux de dorure et de peinture.

Le grand tableau d’origine qui se trouvait dans la nef depuis 1872 est restauré et replacé au centre du retable.

 

Cette restauration a permis de redécouvrir ce magnifique ensemble baroque de la fin du XVIIème siècle symbolisant l’art aristocratique du Grand Siècle..

AUTRES BOISERIES

 

 

 

Parmi ces chefs-d’œuvre, l’église Saint Christophe de Lasbordes possédait deux lustres en bois sculpté et doré du XVIII ème siècle.

Ces œuvres sont une commande des marguilliers de la paroisse à monsieur Lapeire, doreur et sculpteur à Toulouse, en 1766. L’un des lustres est placé dans la nef, à l’entrée du chœur. Il est impressionnant par ces dimensions. L’autre lustre, suspendu dans la chapelle de la Vierge, est de taille moins importante. Il est constitué de douze branches sculptées de feuilles d’acanthe. Des guirlandes de fleurs et des glands en bois doré décorent l’ensemble.

Ces deux lustres sont classés Monuments Historiques en 1910 en même temps que le retable.

Actuellement, seul le lustre de la chapelle de la Vierge existe, quant au grand lustre, il a été détruit dans les années 1940. En effet, ce lustre, accroché à la rosace d’une travée de la nef, se détacha et s’écrasa au sol. On conservera les fragments du lustre au presbytère, jusqu’au jour où la municipalité décide de faire un grand nettoyage à la maison presbytérale. Hélas, les morceaux du grand lustre furent jetés par des personnes qui ne connaissaient sûrement pas la valeur artistique de l’objet.

Espérons que, prochainement, le petit lustre doré sera restauré et replacé dans l’église.

 

Il faut ajouter à ces boiseries l’existence d’un petit retable en bois sculpté et polychrome du XVIIème siècle se trouvant actuellement dans la sacristie. Cette œuvre décorait, autrefois, l’une des chapelles de l’église. On peut y voir, également, une belle torchère en bois sculpté et doré.